Planter ses fleurs plutôt qu’arracher les mauvaises herbes

10th EAP Convention in Lisbon (Portugal)

2 – 5 July 2009
« Meanings of Happiness and Psychotherapy »
by Serge Ginger1

Planter ses fleurs

plutôt qu’arracher les mauvaises herbes

Généralement, on entreprend une psychothérapie pour porter remède à une
souffrance psychique ou psychosomatique. Dans le cas contraire, on parle plutôt de
développement des ressources personnelles ou d’épanouissement de son potentiel latent.

Certes, aucune thérapie ne peut faire l’économie de larmes et d’angoisse : crever des abcès est habituellement pénible… même si c’est souvent nécessaire ; mais faut-il avant tout s’attarder sur les moments difficiles de son passé, alors qu’on peut aussi, parallèlement, évoquer les moments heureux déjà vécus, cultiver son présent et développer au maximum son bonheur actuel et à venir ?
Une thérapie complète ne se limite pas aux processus de cicatrisation. Elle vise aussi
à trouver — ou retrouver — la joie de vivre, à tendre vers plus de bonheur.
Cela est notamment souligné dans les approches dites « humanistes », telles que la
Gestalt-thérapie ou encore l’EMDR — deux approches que j’associe régulièrement dans ma
pratique actuelle.
Analyse des succès Mes clients en Gestalt sont généralement très surpris lorsque je leur déclare explicitement qu’il est souvent intéressant d’analyser les causes et les conséquences de ses succès autant que de ses échecs, explorer ses joies autant que ses souffrances, cela afin de pouvoir les reproduire le cas échéant, voire les amplifier… Ils découvrent ainsi qu’on peut « travailler » autour d’un succès, d’un contact réussi, ou analyser son sentiment de bien-être, et non s’astreindre uniquement à aborder problèmes ou traumatismes. En effet, ressasser sans cesse une période malheureuse ne fait souvent qu’en renforcer le souvenir, en fixant l’encodage cérébral ; évoquer maintes fois un deuil pénible ne suffit pas à le dépasser… Si on rouvre en permanence les plaies de son enfance et qu’on les fait saigner, jamais elles ne pourront cicatriser : une fois la plaie bien nettoyée (mais pas avant !), il convient de laisser la croûte se reformer et de ne plus l’arracher.
Ces premiers soins sont souvent pénibles ; mais les baumes apaisants, la tendresse et
l’humour font aussi partie de tout traitement. Les neurosciences ont souligné l’importance
des « neurotransmetteurs de récompense » et de bien-être : dopamine, noradrénaline,
endorphines, ocytocine… On a pu mesurer que quelques minutes de visualisation mentale
positive augmentaient de 53 % les ressources de notre système immunitaire.
De même, l’EMDR stimule rapidement une réorganisation du système d’information,
et mobilise des processus naturels de cicatrisation mentale et neuronale.
Notre époque valorise de plus en plus la médecine préventive : point n’est besoin
d’attendre de souffrir pour se soigner. La thérapie est aussi la recherche constante d’une
harmonie, d’une meilleure « qualité de vie ». Nous avons tous droit au bonheur.
Notre éducation traditionnelle, d’inspiration catholique — confortée par le
pessimisme freudien — nous a habitués à l’idée qu’il fallait « mériter son paradis ». Point de
récompense sans effort : « On n’a rien sans peine »… « Il faut souffrir pour être belle »…
« Tu enfanteras dans la douleur »… À bien y réfléchir et à bien observer, tout cela est loin d’être prouvé ! Pour ma part, je ne décèle nul mérite particulier dans l’ascétisme, la souffrance et le sacrifice, et la morale de SaintBenoît m’est étrangère, qui ne voit de saints que parmi les martyrs, et affirme que « la mort est posée près de l’entrée du plaisir » (règle N° 7) et qu’on « doit apprendre toutes les choses pénibles et austères par lesquelles on va à Dieu » (règle N° 58). Je me sens plus proche des Chrétiens Orthodoxes — chez qui la joie pascale de la Résurrection l’emporte sur la passion de la Crucifixion ; proche aussi des certains Soufis orientaux qui « dansent la Joie du monde ». « Plusieurs chemins mènent à la Sagesse, disentils, lorsque vous cherchez, cherchez dans la joie…»
Je rejoins le Pr Max Pagès, psychothérapeute, lorsqu’il déclare2 : « Contrairement à ce que prescrit la technique freudienne, le plaisir qu’éprouve le thérapeute dans ses échanges avec les participants est nécessaire au changement. Il n’est pas nuisible : ce n’est pas non plus, un élément suspect que l’on doit doser, que l’on accepte avec réticence et mauvaise conscience. C’est le moteur même du changement. » Faut’il rappeler, par ailleurs, que plaisir et amour ne sont pas synonymes de sexualité ? Le mot même « sexualité » n’a été forgé qu’au XIX° siècle et employé pour la première fois dans son sens actuel en… 1924 ! (sic). Que de chemin parcouru depuis ! Les Grecs, plus nuancés, possédaient trois mots totalement distincts pour désigner l’amour :
• éros : le désir, symboliquement localisable dans le corps ou le sexe ;
• agapé : l’affection, à connotation fraternelle, localisable dans le coeur ;
• philia : l’amour ou l’intérêt (pour un ami, pour la musique, pour la vérité), localisable dans la tête.
L’économie libidinale freudienne du début du siècle avait fait des pulsions des
énergies quantifiables, sur le modèle de la thermodynamique classique de l’époque, dominée par le second principe de Carnot (déperdition de l’énergie par entropie). Chez Freud, les mécanismes de la névrose comme de la sublimation sont implicitement basés sur la mécanique des fluides : l’énergie est supposée limitée, elle ne peut être que déviée ou
transformée, mais non multipliée. Ainsi, par exemple, la curiosité sexuelle initiale non
utilisée est métabolisée et serait la source de l’art et de la science.
Or l’amour est comparable au Feu et non à l’Eau : il n’obéit pas au principe des vases
communicants mais à celui de la flamme — qui peut se multiplier sans limite et qui ne perd
rien d’avoir donné. Le malthusianisme libidinal n’est plus de mise : il ne faut pas économiser l’eau, mais entretenir la flamme — tout en évitant de s’y brûler !…
2 Max PAGES : Le Travail amoureux . Paris. Dunod. 1977.

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L’amour, la tendresse et le sexe ne s’usent pas lorsqu’on s’en sert… bien au contraire !
Le devoir de bonheur
À quoi bon s’écorcher les doigts en arrachant les mauvaises herbes ou en grattant
sans cesse la terre de notre jardin intérieur, pour en retirer tous les cailloux ? De toute
manière, on s’y épuise en vain : plus on creuse et plus on en trouve ! Malgré tous mes
efforts, il restera toujours des pierres dans ma terre ! Et si je gardais mes forces pour arroser mes fleurs ? Voire pour en planter… et cela même sur la rocaille ! Chacun sait qu’il est plus facile de développer ce qu’on possède déjà : des dons pour la musique, pour le sport, une aptitude au contact spontané… que de lutter en vain contre ses traits « négatifs » : arrêter de fumer, être moins paresseux, moins jaloux, etc. N’évitons ni la souffrance… ni la joie. Une psychothérapie vise l’épanouissement de l’être. Ne cultivons pas le masochisme thérapeutique à la mode, qui sous-entend que plus une thérapie est longue, chère et pénible, plus elle est supposée être « profonde et valable » ! « Pas cher = pas bon », « pas long = pas profond », demeurent des mythes tenaces ! Lorsqu’au marché, on verse le même sac de pommes de terre dans deux cageots différents et qu’on les vend : 2 € et 4 €, la plupart se précipitent sur les plus chères, supposant qu’elles sont meilleures !

Une récente synthèse américaine de 80 études statistiques sur les effets réels de diverses thérapies, n’a montré aucune corrélation significative entre la durée, le prix et les résultats constatés, ni à court, ni à long terme… La psychothérapie permet de nettoyer certaines séquelles pesantes d’un passé douloureux, mais il n’est pas nécessaire de fignoler ce nettoyage inlassablement pendant des mois ou des années : lorsqu’on a débarrassé sa cave des vestiges les plus encombrants, il est grand temps d’aménager le rez-de-chaussée où l’on demeure, pour profiter enfin de sa maison. C’est là qu’on pourra récupérer de l’énergie et il sera toujours possible, par la suite, de terminer le nettoyage par petites touches. Cette énergie de vie se cultive dans la joie et le plaisir et pas seulement dans l’effort. Ce que l’on peut faire de plus pour ceux que l’on aime, c’est d’être soi-même heureux. Alain (in Propos sur le Bonheur, 1925)
Ainsi, on offre en cadeau à nos proches la présence de quelqu’un d’épanoui, au lieu
de les écraser sous notre dévouement ou notre sacrifice. Notre soleil les réchauffe. Il ne
s’agit donc plus seulement d’un « droit au bonheur », mais bien d’un « devoir de bonheur », d’un devoir altruiste de rayonnement. De plus, cela contribue au travail dans le plaisir3, dans la chaleur et dans la joie. Or, il est évident que ce qu’on fait avec plaisir, on le fait mieux — cela étant valable tant pour le client que pour le thérapeute lui-même.
La neutralité absolue du thérapeute est un mythe en partie périmé qui n’est plus guère
soutenu d’ailleurs, par les psychanalystes contemporains eux-mêmes. En outre, la non intervention est déjà une prise de position souvent fort inductrice, et le retrait aliène

parfois davantage que la « provocation » (qui est un « appel »). Il faut souligner, de plus, que les attitudes profondes du thérapeute ne sont pas uniquement des réponses à celles du client — comme le laisserait supposer le terme même 3 La chaleur optimale des relations est, pour moi, comme la chaleur optimale d’un moteur à explosion : elle en permet le meilleur fonctionnement mais sous réserve de ne pas dépasser une température limite ! Rappelons que plusieurs enquêtes américaines et canadiennes font état de 15 à 20 % de psychothérapeutes de toutes obédiences qui auraient eu des relations sexuelles avec un ou plusieurs de leurs clients !
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de « contretransfert », entendu comme réaction, positive ou négative, à un transfert du
client sur son analyste. À ces transferts croisés s’ajoutent, bien entendu, les sentiments issus de la relation réelle actuelle entre les deux partenaires de la thérapie.
J’avoue que, pour ma part, je ne regrette en rien cet entrelacs intriqué de relations
diverses, tissées dans tous les sens avec des fils, à la fois invisibles et fortement colorés, en
un camaïeu mystérieux. Il s’agit de l’insondable richesse des relations humaines qui leur
confère une épaisseur, une densité et une originalité sans cesse renouvelées.

Le transfert souligne, à juste titre, l’importance et la prégnance des expériences du passé et la tendance à la répétition des comportements ; mais il ne faut pas négliger pour autant l’immense potentiel de créativité qui permet à chacun d’entre nous de sortir des ornières toutes tracées. Les racines proviennent de l’arbre. La recherche des racines est certes souvent éclairante, mais n’oublions surtout pas que — contrairement à un préjugé répandu — l’arbre ne provient pas de ses racines mais
d’une graine : ce sont au contraire, les racines qui proviennent de l’arbre : chaque jour, elles poussent, s’enfoncent en terre et s’élargissent, pour équilibrer la ramure. L’enracinement est ainsi un phénomène actuel et permanent, qui se développe dans l’ici et maintenant et dans un ajustement créatif entre l’arbre et son environnement — deux thèmes centraux en Gestaltthérapie.
À la répétition pessimisme « mathématique » (de « matéma », participe passé grec,
qui signifie : « ce qui a déjà été écrit », la vérité du passé), il est temps d’opposer la
« poésie » optimiste et foisonnante de la vie (de « poïein », qui signifie : « créer » en grec).
Un exemple de changement de perspective. Je terminerai ces quelques réflexions sur la recherche du bonheur en thérapie, par un bref exemple, tiré d’un groupe thérapeutique de Gestalt : une mère évoque, en sanglots, le décès brutal de sa fille de 17 ans, survenu accidentellement il y a déjà plusieurs années, et dont elle n’arrive pas à se consoler. La situation est rejouée dans une mise en scène psychodramatique, à caractère symbolique. Une jeune femme du groupe joue la fille décédée et déclare « d’outre-tombe » :
— « Maman, je ne comprends pas pourquoi, depuis tant d’années, tu ne te souviens que
des quelques instants de ma mort, au lieu de savourer avec moi, les 17 années de
bonheur que nous avons partagées durant toute ma vie ! Tant de souvenirs heureux
que tu sembles avoir oubliés ! C’et pourtant cela qui est essentiel entre nous, ma vie
et non pas ma mort !… ». Ce « témoignage » spontané d’une participante a bouleversé la mère — et lui a permis de « rouvrir instantanément l’album photos de sa fille » et de raconter au groupe ses nombreux moments de joie partagée. Cette expression publique de bonheur s’est avérée autrement plus thérapeutique que la complaisance répétitive dans un deuil mal assumé… Ainsi, le sourire, le rire, la joie et le bonheur mobilisent les cinq dimensions de l’être humain : physique, émotionnelle, cognitive (l’humour), sociale (le partage) et spirituelle (le sens même de la vie), conformément aux cinq branches du Pentagramme — que j’ai adopté comme symbole de la Gestalt-thérapie.
Serge Ginger
<s.ginger@noos.fr>
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